Pour les parents que cette initiative intéresse, élèves et professeurs qui étaient récemment en Norvège, dans le cadre du programme de remotivation pour les « décrocheurs » présenteront leur carnet et impressions de voyage (téléchargez le pdf d’invitation), le jeudi 15 juin 2017 à 18h, au collège de Montrichard.
Sachez que la direction du collège et le dernier conseil d’administration (du mardi 30 mai dernier) ont validé le principe de la reconduction de ce voyage ainsi qu’une demande de subvention spécifique auprès de l’académie pour son financement.
Curieusement, il n’y avait aucun représentant des élèves à ce conseil dont l’avis aurait pu être éclairant. Après avoir tenté de convaincre que ce type d’action ciblée mais inégalitaire n’était pas forcément la panacée en matière de lutte contre le décrochage scolaire, j’ai été désavoué et j’ai donc été le seul parent, sur les trois présents au lieu des cinq ou six habituels, à lancer une alerte symbolique et à voter contre. La démocratie n’est pas toujours tendre pour ceux qui la pratiquent ;-)
Personnellement, j’avais accepté le principe de l’expérimentation, convaincu d’abord par la nécessité de faire quelque chose pour les élèves en situation d’échec, séduit ensuite par la motivation de Madame Cadeau (professeur initiateur) et rassuré enfin par l’absence de coût relative (il faut quand même que le collège paye la part des professeurs accompagnateurs) pour l’établissement.
Mais à l’heure où les finances publiques se tendent et où il est question de prochaine programmation pluriannuelle des voyages (donc de revoir prochainement à la baisse le nombre de voyages ou à la hausse la participation financière des familles), je considère pour ma part que nous donnons, de mon point de vue, un curieux signal en favorisant les individualités au détriment du collectif et en perdant de vue une valeur de l'école républicaine essentielle, à savoir l’égalité.
J’aurais préféré un engagement plus fédérateur du collège et un renforcement des actions concrètes au quotidien, toutes sections confondues et pas seulement au profit d’une sélection d’élèves de troisième, élèves qui par ailleurs méritent tout autant d’attention et d’aide que les autres collégiens de Montrichard.
Je voulais aussi attendre de connaître l’impact de ce projet sur l’ensemble des élèves au complet (vérifier que la remotivation des uns n’entraîne pas par déception, même involontaire, la démotivation des autres), sur les résultats au brevet pour les participants et sur leur orientation à la prochaine rentrée avant de faire de ce dispositif ambitieux un cheval de bataille pour le collège et de valider un budget global annuel de 12 000 à 15 000 euros pour seulement 10 élèves au maximum.
Autant je suis heureux que des professeurs ou des tiers aient cette envie d’en faire plus pour aider les élèves en difficulté, autant je me demande pourquoi il faut tout de suite institutionnaliser la chose avec de l’argent public et se dépêcher de demander de nouvelles subventions pour créer une nouvelle « action pédagogique ». Car même si ce voyage aura été assurément positif et bénéfique pour tous les participants, si l’objectif du collège demeure la lutte contre le « décrochage », je persiste à penser que d’autres solutions existent déjà pour remotiver des jeunes en situation d’échec scolaire (aide personnalisée, soutien scolaire, missions départementales, associations extérieures, etc.), que ce n’est pas obligatoirement le rôle du collège d’organiser et de financer un voyage atypique pour un petit nombre d’élèves, et que surtout on sacrifie à nouveau le collectif au profit d’une minorité en donnant, même involontairement, une certaine prime à la marginalité alors qu’il est déjà très difficile de sensibiliser les adolescents à l’intérêt général.
Mais je suis sans doute bien seul à penser cela et de nombreux arguments m’ont été opposés, si bien que j’en viens à me demander si j’ai eu raison de voter contre la promotion de ce projet et si mes arguments ne seraient pas élimés et un brin datés...
Suis-je trop vieux ? Ai-je la nostalgie de mes années de collège où l’égalité de traitement entre tous les élèves était la règle ?
Ne suis-je pas assez empathique, pas assez compréhensif, vis-à-vis des familles confrontées à des adolescents difficiles et marginalisés ou encore vis-à-vis des professeurs qui ne trouvent pas de solution pour les recadrer au quotidien ?
En tant que parents, ne devrions-nous pas nous réjouir qu’on prenne ainsi en charge la motivation de certains élèves qui ne croient plus en rien, d’autant plus qu'il pourrait s’agir de nos propres enfants ?
Et si tous ces efforts et ces moyens déployés, au final, ne permettait que de « sauver » un seul enfant, est-ce que cela n’en vaut pas la peine ?
L’argent public n’est-il pas dépensé souvent de façon inefficace alors que là, pour une fois, il serait employé à bon escient ?
Prisonniers d’un environnement souvent peu épanouissant, une rupture ambitieuse avec le quotidien n’est-elle pas un passage obligé pour que des jeunes retrouvent moral et joie de vivre, goût à la vie et à l’école ?
Et tous ces sourires d'adolescents à leur retour de voyage ne sont-ils pas la meilleure preuve de l’utilité du dispositif ?
De plus, les actions pédagogiques ne doivent-elle pas être réservées aux professionnels de l'éducation, les seuls compétents pour apprécier les retombées pour les élèves et leur orientation future ?
Et surtout, ultime argument, moi qui critique, qu’ai-je donc à proposer de mieux ?
Pour être honnête, je n’ai pas vraiment de solution alternative qui conviendrait pour toutes les situations mais je reste persuadé que tout n’a pas été mis en oeuvre ou tenté en amont, dès la sixième et même le primaire, pour parer à ces situations d’échec scolaire et nous en sommes collectivement responsables, familles et enseignants.
Notre région, notre vallée du Cher n’est pas non plus un désert culturel comme on aime à nous le faire croire à grand renfort de statistisques. Elle a aussi des atouts, des charmes et des qualités que d’autres nous envient et nous devrions, à nouveau collectivement, oeuvrer pour que nos enfants retrouvent de la motivation d’abord chez nous, et pas systématiquement loin de leurs lieux de vie habituels. J’ai parfois le sentiment que nous essayons de sauver quelques cas sans réfléchir au traitement global de l’épidémie.
Et en tant que simple parent, même si je ne fais pas partie de l’Education Nationale, je reste cependant capable de comprendre les enjeux et d’avoir une opinion motivée sur l’intérêt général et sur ce que nous proposons à nos enfants via l’école.
Mais je me dois aussi d’être honnête jusqu’au bout et de reconnaître que les voyages forment réellement la jeunesse et ont de vraies vertus thérapeutiques et éducatives. Les séjours linguistiques et autres voyages scolaires sont de vraies opportunités de découverte et d’épanouissement et ils permettent toujours de s’ouvrir aux autres et de se rendre compte que finalement tout ne va pas si mal chez soi. C’est pour cela que je souhaite qu’un maximum d’élèves du collège puissent continuer à voyager (comme j’ai eu la chance de le faire) d’une façon ou d’une autre, et si possible en classe entière davantage qu’en petits groupes, même si la gestion des petits groupes d’élèves est naturellement plus aisée pour les accompagnants.
N’ayant jamais manqué une occasion de voyager, je devrais, peut-être et malgré tout, être heureux pour tous les autres voyageurs. Etre heureux comme Ulysse...
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Joachim du Bellay
Les regrets (1558)
Frédéric Le Benoist
